Sur les traces du passé militaire de Frontenay-Rohan-Rohan

À l’époque médiévale, Frontenay-Rohan-Rohan occupe une place stratégique entre Poitiers et Niort, aux confins d’axes de circulation très fréquentés. Dès le XI siècle, une motte castrale s’érige sur une butte calcaire qui domine la vallée de la Sèvre Niortaise. Cette motte, cœur du pouvoir seigneurial local, accueille une première fortification en bois, probablement renforcée au fil des siècles d’un donjon en pierre, comme c’était souvent le cas à l’époque.

• Localisation : La butte du bourg actuel, derrière l’église Saint-Pierre, reste le témoin muet de cet âge féodal. Bien que le château primitif ait disparu, le tracé du relief révèle encore l’emplacement de ses anciennes douves et systèmes défensifs.
• Événements marquants : Le château servit de point d’appui lors des conflits de la Guerre de Cent Ans, puis lors des guerres de Religion où il fut disputé entre catholiques et protestants.
• Source : Bulletin de la , 1999.

Contrairement à une ville comme Niort, Frontenay-Rohan-Rohan ne conserve pas de remparts monumentaux. Pourtant, d’anciens plans cadastraux du XVIII siècle (Archives Départementales des Deux-Sèvres, série 3P) attestent d’une enceinte villageoise, visible par la toponymie locale : la “rue des Fossés”, la “Porte-aux-Moines”... à l’emplacement du bourg actuel.

• Traces visibles : Certains murets, au nord et à l’est du cœur de bourg, reposent probablement sur des bases médiévales ou modernes, notamment près du square du Souvenir.
• Anecdote : L’épaisseur anormale des murs de certaines maisons de la rue des Tilleuls trahit la récupération de pierres d’anciens ouvrages défensifs, lors de la reconstruction du village au XVIII siècle.

Au-delà du bourg, Frontenay-Rohan-Rohan contrôlait les accès vers le Marais poitevin, espace difficilement franchissable à l’époque et théâtre d’embuscades pendant les périodes troublées.

• Levées et écluses stratégiques : Dès le XVI siècle, on mentionne dans les archives communales la présence de “levées à bestiaux” (levées de terre surélevées) servant à la fois de digues, de chemins de surveillance et de points de contrôle militaire. Un exemple subsiste à la sortie nord du village, le long du ruisseau du Nuaillé.
• Le Charreau de la Vierge : Ce chemin surélevé, toujours visible près du hameau de la Vierge, aurait servi à la surveillance des abords du Marais, notamment pendant les guerres de Religion. Une croix y aurait même marqué la séparation des “terres sûres” et des “marais incertains”.

Le prieuré de Frontenay, rattaché à l’abbaye de Saint-Maixent, jouait un rôle indirect mais non négligeable dans la stabilité du secteur. Construit au XII siècle en marge du bourg, il permettait de contrôler les pèlerins et marchands, et de signaler tout mouvement militaire suspect.

• Le presbytère : Sa cave voûtée, à l’ouest du chevet de l’église Saint-Pierre, aurait servi d’abri lors des alertes. Les vieilles pierres noircies porteraient, selon la tradition orale, la trace d’un incendie lors d’un affrontement en 1569, pendant la prise du village par les Huguenots (voir , Bernard Crochet, 1982).
• Voies stratégiques : La rue de la Croix-de-Bois, aujourd’hui paisible, suivait jadis l’itinéraire d’une voie gallo-romaine qui permettait de gagner Niort rapidement. Des fouilles (INRAP, 2011) ont révélé à cet endroit des vestiges d’anciens pavages utilisés pour les déplacements de chevaux et de charrois militaires.

Deux périodes ont particulièrement marqué la mémoire militaire de Frontenay-Rohan-Rohan :

1. Guerre de Cent Ans (1337-1453) : La région passe successivement sous contrôle anglais et français. En 1372, la chronique locale relate le passage d’une “garnison du roi d’Angleterre” qui établit une base temporaire près de l’actuelle mairie, profitant de la situation surélevée et du puits du bourg.
2. Guerres de Religion (1562-1598) : Frontenay est brièvement occupé à plusieurs reprises par des troupes protestantes. Des maisons sont fortifiées à la hâte, certaines caves voûtées servent de refuges (encore en usage lors des bombardements de 1944 !), et les habitants participent au ravitaillement des soldats cantonnés dans les presbytères ou les fermes isolées.

Ces épisodes expliquent la prudence dans l’architecture du village : façades peu ouvragées côté rue, caves profondes, murs percés de meurtrières (encore observables au 5 rue de la République).

S’il est un élément du patrimoine militaire auquel on pense rarement, c’est le “pont du Saumort”. Construit en 1867 pour répondre aux exigences de circulation accrue (et sous la menace toujours présente d’invasions, après la guerre de 1870), il adopte un profil surbaissé, facilement défendable lors d’un repli stratégique. Le génie militaire de l’époque a prescris un système de pieux adaptés pour supporter le passage d’attelages chargés de canons et de munitions.

• Caractéristique technique : Le tablier du pont comporte des alvéoles prévues pour l’installation rapide de barricades en cas de besoin, bien que leur usage n’ait jamais été nécessaire. Une plaque commémorative côté est rappelle la participation de “sapeurs du génie de La Rochelle”.

Bien plus récemment, Frontenay-Rohan-Rohan a de nouveau servi de point stratégique lors des grands conflits mondiaux.

• Première Guerre mondiale : Dès 1915, la gare du village fut incorporée au réseau de transport de troupes. On y a recensé le passage d’environ 220 trains militaires en 1917 (Archives SNCF Poitou-Charentes).
• Seconde Guerre mondiale : La ligne de chemin de fer fut de nouveau mobilisée pour la logistique allemande, puis, lors de la Libération, les résistants locaux sabotèrent plusieurs rails sur le secteur de la “croix des Ménaux”. Quelques éclats de rails torturés sont conservés au musée de Niort, certains ayant été retrouvés dans des granges des hameaux alentours.
• Blockhaus et abris : Deux blockhaus allemands ont été identifiés en 1943 près de l’ancienne gare. L’un d’eux subsiste – en partie camouflé sous la végétation – le long de la voie verte actuelle. Les riverains relaient la légende d’un tunnel secret communiquant avec le ruisseau du Nuaillé : jamais retrouvé, mais régulièrement évoqué par les anciens.
• Mémoire locale : Le square du Souvenir, inauguré en 1950, rassemble plaques en mémoire des résistants et stigmates des bombardements alliés d’août 1944, qui visèrent le dépôt ferroviaire de Frontenay.

• Balade sur la butte : Débutez derrière l’église Saint-Pierre pour détecter le relief du château féodal, longez la rue des Fossés puis redescendez vers la Sèvre. Au printemps, la lumière rase révèle les anciens fossés sur la pente ouest.
• Le chemin du Nuaillé : Suivez la levée jusqu’au hameau du même nom et observez les marques d’anciens murets. Avec un œil attentif, vous verrez çà et là des moellons de taille irrégulière, signes d’anciens réemplois militaires.
• Le pont du Saumort : Flânez côté est pour lire la plaque des sapeurs du génie et tentez, par un arrêt attentif, de repérer les fameuses alvéoles du tablier, vestiges bien concrets du passé stratégique de Frontenay.
• Voie verte et gare : Munissez-vous de photos d’archive (disponibles aux Archives Départementales ou auprès du club d’histoire local), partez à la recherche du blockhaus partiellement enfoui, puis laissez-vous guider jusqu’au square du Souvenir, rappelant la mémoire des luttes récentes.

Si la silhouette de Frontenay-Rohan-Rohan ne frappe pas aujourd’hui par l’austérité d’une cité fortifiée, elle garde l’empreinte profonde de siècles d’enjeux stratégiques. Les anecdotes ancrées dans la mémoire des habitants, la forme des rues, les vestiges enfouis et les témoignages silencieux du XX siècle disent à leur façon la résilience d’un village longtemps aux avant-postes des conflits régionaux.

Pour les passionnés de patrimoine ou les curieux en quête de balades insolites, ces traces sont autant de portes ouvertes sur un passé qui ne demande qu’à être (re)découvert, sur le terrain et dans les récits partagés entre générations.

Sources principales : Archives Départementales des Deux-Sèvres, Société Historique et Scientifique des Deux-Sèvres, Bernard Crochet, INRAP, SNCF Poitou-Charentes, témoignages oraux recueillis lors des journées du patrimoine 2016-2022.