Au centre du village, l'église Notre-Dame ne sert pas seulement de point de repère architectural. Au Moyen Âge et jusqu’au XXe siècle, l’église est le théâtre de presque tout ce qui compte dans la vie d’un Frontenaisien. Baptêmes, mariages, enterrements rythment l’année, au même titre que le calendrier agricole. En 1907, à Frontenay-Rohan-Rohan, on compte 123 baptêmes et 32 mariages – des chiffres qui parlent du rôle central de la paroisse dans la société locale (source : Données de la paroisse, Archives départementales des Deux-Sèvres).
Mais l'église n'est pas qu'un lieu de prière. Avant la création des mairies, elle tient souvent lieu de registre d’état civil et de lieu de rassemblement en cas de crise : lors de la grande inondation de 1872, c’est sur le parvis que la communauté organise la solidarité et répartit les vivres. La cloche, sonnant à la volée, servait d’alerte aussi bien pour les incendies que pour les mobilisations lors des guerres.
Le lavoir du bourg, restauré et fleuri aujourd’hui, attire bien des promeneurs. Pourtant, il reste le témoin d’un temps où la lessive rythmait véritablement la vie du village. Véritables « places publiques », les lavoirs étaient fréquentés par toutes les générations de femmes, du lundi au grand « lessivage » trimestriel appelé “buée”. Les récits locaux évoquent que le lavoir du Vieux Chemin voyait passer, dans les années 1930, plus de 50 lessiveuses la dernière semaine de chaque mois, s’accordant sur les histoires, les ragots, ou la transmission de recettes et remèdes (source : Témoignages recueillis par le Cercle d’Histoire Locale).
Les maisons et longères de Frontenay-Rohan-Rohan expriment la diversité de la vie rurale. Les bâtiments les plus anciens, construits en pierre calcaire, étaient souvent organisés selon plusieurs principes :
Certains détails racontent l’intimité du quotidien. La petite « fenêtre à pain » sur la façade servait à recevoir la miche du boulanger sans ouvrir la porte, limitant le courant d’air ! Les lucarnes, souvent basses, témoignent de plafonds assez bas, adaptés au chauffage limité des pièces.
Au détour des hameaux, on trouve parfois d’anciens fours à pain collectifs. Utilisés jusqu’aux années 1940, ils étaient allumés une fois par semaine pour tout le voisinage. Chacun attendait son tour, déposait sa pâte et repartait en discutant des nouvelles.
L’école publique actuelle, inaugurée en 1882, s’inscrit dans la grande vague républicaine impulsée par Jules Ferry, mais avant cela, la « maison d’école » était rudimentaire. Un unique maître, souvent un curé jusqu’au début du XIXe siècle, accueillait les enfants, garçons et filles, mais séparément.
La mairie, installée dans un bâtiment distinct à partir de 1868, incarne la montée en puissance du pouvoir municipal. De nombreux débats de 1900 à 1930 y ont vu s’affronter des visions différentes du développement de la commune (cf. Archives départementales). En témoignent encore les grandes salles clapoteuses des réunions de conseil, où l’on délibérait du creusement des fossés, de l’aménagement des routes ou du budget du marché aux bestiaux.
Les halles ne sont plus élevées au cœur du village, mais leur emplacement (actuelle place principale) épouse encore celui du bâtiment couvert qui, dès le XVIIe siècle et jusqu’aux années 1950, accueillit chaque mardi et samedi un marché très vivant. On y côtoyait éleveurs et maraîchers venus de tout le marais poitevin.
Anecdote souvent répétée lors des veillées : aux halles, les disputes étaient fréquentes, sur le prix des œufs comme sur les alliances de mariage ! Les marchés formaient à la fois un espace économique et un carrefour social, où l’on réglait affaires et conflits à voix souvent forte.
Le cimetière communal, déplacé hors du centre au XIXe siècle pour raisons sanitaires, recèle lui aussi des indices précieux sur la vie passée. En observant les pierres tombales, on découvre des « dynasties » locales, mais aussi la marque d’événements marquants : épidémies, guerres, exodes… Plusieurs stèles « orphelines » racontent l’exode des années 1914-18, lorsque des réfugiés belges ou parisiens prirent place dans la commune.
C’est autour du cimetière, chaque Toussaint, que se reformait – ou se reforme encore – la communauté du souvenir. Les rites et les inscriptions, souvent poignants dans leur simplicité, illustrent une vie marquée par l’attachement familial, la foi, mais aussi la solidarité face à l’adversité.
Impossible d’oublier les chemins creux, les ponts de pierre et les petits canaux qui quadrillent Frontenay-Rohan-Rohan. Un véritable réseau « maillé » s’étendait pour relier fermes isolées, moulins à eau (« moulin du Chêne Vert », moulin de Magné tout proche).
Jusqu’au percement du canal du Mignon à la fin du XIXe siècle, les habitants utilisaient les passerelles de bois pour transporter le lait, le blé ou – lors des grandes crues – pour rejoindre l’école en barque ! En 1953, les écoliers du quartier de la Croix de Pierre racontaient arriver en sabots et pantalons retroussés après avoir « failli tomber dans la Venise verte » (source : témoignage oral, Archives locales).
Observer les bâtiments de Frontenay-Rohan-Rohan, c’est donc bien plus qu’une visite touristique : c’est une leçon de vie sur le partage, la mémoire et l’évolution sociale. Aujourd’hui, nombre d’édifices se découvrent à pied ou à vélo, au détour d’une balade organisée par le Cercle d’Histoire ou lors des Journées du Patrimoine.
Pour aller plus loin et prolonger la découverte, rien de tel que de discuter avec les artisans ou les anciens, souvent prompts à ouvrir leur carnet d’histoires et à faire ressurgir les souvenirs, rendant ce patrimoine encore plus vivant. En parcourant les rues, chaque monument vous rappellera qu’ici, la mémoire des gestes quotidiens reste inscrite dans la pierre, les canaux et le tissu du village.
Sources principales : Archives départementales des Deux-Sèvres, Cercle d’Histoire Locale, Mairie de Frontenay-Rohan-Rohan, Monographies Gallica BnF, témoignages oraux.