Rencontrer un four à pain en fonctionnement : un voyage au cœur du patrimoine vivant

Dans le paysage rural autour de Frontenay-Rohan-Rohan et du Marais poitevin, impossible de manquer certaines petites bâtisses de pierre coiffées de tuiles rondes et de linteaux de briques noircis. Encore aujourd’hui, elles rappellent le temps où le four à pain était le centre névralgique des villages et des hameaux. Dans la France rurale d’antan, posséder un four à pain répondait à une nécessité : nourrir la famille en toute autonomie, mais aussi partager ce précieux outil lors des grandes fournées collectives. D’après les inventaires du patrimoine (Atlas du patrimoine des Deux-Sèvres), on recensait encore près de 500 anciens fours à pain sur le territoire départemental au début du XXIᵉ siècle, dont environ 10 % en bon état.

Un four à pain traditionnel se distingue par son architecture simple mais ingénieuse : une chambre de cuisson voûtée en briques pour conserver la chaleur, une sole pour poser les pâtons, une porte en fonte et parfois un abri en appentis. Pour servir au mieux la communauté, le four municipal ou partagé était souvent situé à l’écart des habitations principales, tant pour limiter les risques d’incendie que pour permettre d’alimenter plusieurs familles lors de grandes occasions. La chauffe du four nécessitait bois et patience, avec des températures pouvant dépasser 300°C pour obtenir la fameuse croûte dorée et craquante.

• Capacité : Un four paysan typique pouvait cuire 10 à 20 miches par fournées.
• Temps de cuisson : Entre 45 minutes et une heure selon la taille des pains.
• Diversité des cuissons : Après les pains, on enfournait souvent tartes, pâtés, brioches, et parfois même les plats du repas dominical.

Selon Inventaire du patrimoine Poitou-Charentes, beaucoup de ces fours datent du XVIIIᵉ ou XIXᵉ siècle et étaient parfois déplacés à proximité des grandes exploitations lors de la Retraite du feu (suppression des redevances féodales sur l’usage du four seigneurial après la Révolution).

Où observer un four à pain en fonctionnement près de Frontenay ?

De nombreux fours subsistent dans le bâti local, mais rares sont ceux qui voient encore la flamme. Toutefois, certains sont remis en fonctionnement à l’occasion de fêtes villageoises ou d’initiatives patrimoniales :

• La Ferme du Marais Poitevin (Le Vanneau-Irleau) : Ce site écomuséal possède un four à pain traditionnel régulièrement allumé lors de week-ends dédiés. On peut assister à toutes les étapes : chauffage, préparation de la pâte, enfournement, et bien sûr, dégustation du pain chaud. Leur four, restauré selon les règles de l’art, met à l’honneur les farines paysannes locales (La Ferme du Marais Poitevin).
• Les Fours à Pain de Saint-Hilaire-la-Palud : Dans ce village voisin, plusieurs fours sont rallumés pour la Fête du Pain au printemps. Des bénévoles, souvent descendants de familles boulangères, expliquent leur méthode héritée de plusieurs générations.
• Le four de la Maison du Marais Mouillé à Coulon : D’ordinaire éteint, il retrouve vie lors des Journées du Patrimoine ou de visites guidées, pour faire revivre les gestes d’autrefois.

Près de Frontenay, signalons que bon nombre de hameaux, à l’instar de Villefollet ou Béceleuf, possèdent des fours collectifs encore visibles. Leur usage est sporadique mais reste préservé par des associations soucieuses de sauvegarder ce savoir-faire.

Dans le reste du Poitou, des rendez-vous réguliers avec le patrimoine

• La Fête du Pain de Celles-sur-Belle : une fête champêtre où le four du moulin est ouvert au public, l’occasion de goûter la « galette à la broche » typique du sud Deux-Sèvres.
• L’Écomusée du Marais Salant de Loix (Île de Ré) : certes hors du Poitou historique, mais il propose chaque été des démonstrations de cuisson et relate le rôle du pain dans l’alimentation maritime.

D’après une étude menée par la DRAC Nouvelle-Aquitaine (Direction régionale des affaires culturelles), 84 % des fours à pain recensés sont aujourd’hui à l’abandon ou intégrés à des résidences privées, parfois réaménagés en remises. Pourtant, la mobilisation associative et communale grandit pour relancer ces lieux de convivialité. L’allumage d’un vieux four marque souvent les fêtes locales : on prépare collectivement la pâte, on partage une « fournée » et on échange anecdotes et recettes. Le pain sortant du four, encore crépitant, est souvent plus qu’une gourmandise : il incarne toute une mémoire rurale.

• Le retour des fêtes du pain : Chaque année, plus d’une centaine d’événements sont organisés autour des fours à pain en activité dans la région Nouvelle-Aquitaine (source : Office de Tourisme régional).
• Des restaurations subventionnées : Les aides publiques, via la Fondation du patrimoine ou le programme « Petites villes de demain », permettent la remise en service d’une dizaine de fours par an dans le département des Deux-Sèvres.

Une anecdote locale mérite d’être citée : à Fressines, durant la canicule de 1947, tout le village se retrouvait deux fois par semaine autour du four collectif, faute d’électricité pour les fours domestiques électriques naissants. Ce four existe encore, et il arrive aux habitants d’y cuire leur pain lors de coupures, renouant l’espace d’une journée avec les habitudes anciennes.

Allumer un four à pain, c’est toute une organisation, encore perceptible lors des journées d’animation :

1. Préparation du bois : Le chêne pour une chauffe lente, le charme pour des températures rapides.
2. Mise en chauffe : Entre 1h et 2h30 suivant la taille du four.
3. Nettoyage de la sole : Retrait des cendres, parfois à l’aide d’un long balai mouillé appelé « balai de four ».
4. Cuisson des pains : Disposition rapide des pâtons pour optimiser la cuisson par inertie thermique.
5. Enfournement des autres plats : Tartes, brioches, gratins... souvent faits avec l’ambiance résiduelle du four.

Au-delà du geste technique, la fourniture collective était autrefois un rituel : chacun apportait sa pâte, marquée d’un signe distinctif pour ne pas la confondre, et une partie du pain était souvent offerte à ceux qui n’avaient pas les moyens, illustrant la solidarité de la campagne (Source : « Pain et société en Poitou-Charentes », D. Proust, 2006).

Pour profiter de cette expérience unique :

• Se renseigner auprès des offices de tourisme locaux pour connaître les dates des prochaines fournées.
• Participer aux Journées Européennes du Patrimoine, qui proposent presque toujours des ouvertures exceptionnelles de fours privés ou municipaux.
• Sur place, ne pas hésiter à interroger les bénévoles, souvent ravis de transmettre recettes et histoires familiales.
• Respecter la tranquillité des propriétaires lorsque le four est situé sur une propriété privée, en privilégiant les visites commentées ou les manifestations publiques.

Pour les plus passionnés, certaines associations proposent même des ateliers d’initiation à la panification à l’ancienne, comme à la Ferme du Marais Poitevin ou lors des fêtes rurales estivales.

Si les anciens fours à pain de Frontenay-Rohan-Rohan et du Marais poitevin ne servent plus à nourrir chaque foyer, ils continuent de tisser du lien entre les générations et de faire vivre la mémoire d’une ruralité inventive. En participant à une allumage, chacun devient acteur d’un patrimoine vivant et goûte, au sens littéral, à l’histoire locale. Bientôt la prochaine fournée ?