Le four à pain : cœur battant des villages et de la vie rurale

Dans le paysage bocager de Frontenay-Rohan-Rohan et plus largement dans les Deux-Sèvres, un bâtiment simple par sa forme mais puissant par sa fonction attire parfois l’attention lors d’une balade : le four à pain. Longtemps, il a occupé une place centrale dans la vie des familles, rythmé les semaines, structuré l’organisation des hameaux, et bien au-delà de sa fonction purement utilitaire, il fut aussi témoin et acteur du lien social.

Dans la région, jusqu’au milieu du XXe siècle, chaque village, voire chaque ferme, possédait son ou ses fours à pain. Selon l’Inventaire général du patrimoine culturel, sur l’ensemble du département des Deux-Sèvres, on recense plus de 800 fours construits entre le XVIIe et le XIXe siècles (Ministère de la Culture).

Dès le Moyen-Âge, le four à pain prend une importance particulière. Sous l’Ancien Régime, de nombreux fours sont dits "banaux". Cela signifie qu’ils appartenaient au seigneur local qui en tenait le monopole ; les habitants étaient souvent obligés de cuire leur pain dans ce four en échange d’une redevance, appelée la "banalité".

• Cette obligation disparaît avec la Révolution française et la suppression des droits féodaux. Cela ouvre la voie à la multiplication des fours “privés” ou familiaux.
• Le village de Frontenay-Rohan-Rohan a ainsi compté plus d’une trentaine de fours au XIXe siècle, dont certains sont encore visibles intégrés dans des propriétés.

La construction d’un four représentait un investissement, mais il symbolisait aussi l’autonomie alimentaire de la maisonnée. Selon les statistiques agricoles de 1892, près de 80% des maisons rurales des Deux-Sèvres possèdent leur propre four, une proportion qui témoigne de l’importance de cet équipement (Inventaire Poitou-Charentes).

Le four à pain typique de la région se compose d’une chambre de chauffe semi-voûtée, isolée par une maçonnerie de pierres calcaires ou de briques locales, et coiffée d’un dôme. Sa porte en fer ou en bois donne sur une petite avancée protégée, appelée “gueule du four”.

• Le chauffe-fournil était lancé la veille de la cuisson avec du bois de haie, très sec (souvent de l’aubépine ou du charmille).
• On attendait que la voûte blanchisse, signe que la température dépassait les 250°C.
• Les braises étaient enlevées, le four "essuyé" à l’aide d’un balai humide, puis les pâtons façonnés étaient enfournés à la pelle.

La cuisson durait de 30 à 45 minutes selon la taille des pains. Une campagne de cuisson durait généralement un jour entier, car le four était également utilisé pour d’autres préparations : flognardes, tartes, rôtis, et le fameux mâchon ou “grillardin” local (restes cuits dans la chaleur décroissante du four).

Jusqu’au début du XXe siècle, le pain représente plus de la moitié de l’apport calorique quotidien des campagnes françaises (INSEE, “Consommation et alimentation en France au XIXe siècle”, 2000). La boulangère moderne n’apparaît qu’après la Première Guerre mondiale dans de nombreux villages du Marais poitevin.

Faire le pain, c’est donc garantir l’essentiel, mais aussi rythmer la vie collective :

• Jour de fournée : Les familles se regroupaient entre voisines pour partager la chaleur du four, surtout lors des grandes fournées hebdomadaires qui pouvaient voir cuire jusqu’à 20 kg de pain en une seule fois.
• Événements ritualisés : Mariages, communions, battages et fêtes agricoles étaient autant d’occasions d’allumer le four, et de sceller l’événement par la qualité du pain.
• Aide solidaire : Lorsqu’un four était en panne ou qu’une famille moins aisée ne possédait pas le sien, on ouvrait les portes aux voisins.

Les enfants aussi avaient leur rôle : tourner la manivelle d’un soufflet pour animer les braises, surveiller la couleur du pain, et goûter la “croûte chaude” !

L’aspect le plus attachant du four à pain reste peut-être la dimension communautaire. Dans certains hameaux, on trouvait des fours collectifs, installés dans une "maison du four" ou sous simple appentis. Ces lieux étaient animés de véritables rituels sociaux :

• Attente de la chauffe et veillées autour du four, propices aux discussions, à la transmission d’histoires et d’actualités du village.
• Organisation de la “tournée du pain” : chaque famille apportait son propre levain, mais c’est le même feu qui les unissait.
• Des tournois autour de recettes locales ou de la plus jolie miche, certains racontent même que se disputait “la croûte d’honneur” !

Les fours à pain étaient aussi un marqueur des solidarités paysannes : lors d’une naissance, d’un décès, d’une mauvaise saison, le four “chauffait” pour servir la communauté.

Aujourd’hui, beaucoup de fours à pain sont à l’abandon ou intégrés dans des bâtiments agricoles. Pourtant, certains sont restaurés par des particuliers ou remis à l’honneur lors de fêtes rurales :

• À Frontenay-Rohan-Rohan, le four communal du village de Fayé connaît encore chaque été ses fournées traditionnelles lors de la Fête du Pain, avec démonstrations, dégustations et animations pour tous les âges.
• Dans la Communauté de communes du Marais poitevin, plusieurs initiatives valorisent la sauvegarde des fours à pain ainsi que la transmission des recettes originales, sous l’égide de l’Écomusée du Marais poitevin (Coulon).
• Pistes de balades à pied ou à vélo : plusieurs circuits traversent le territoire en passant devant d’anciennes maisons avec leur four rescapé, parfois accompagné d’un puits (souvent le duo fondamental pour l’autonomie rurale !).

Une promenade dans les ruelles du vieux Frontenay ou des hameaux alentour offre de belles surprises pour qui sait repérer les “ventres ronds” adossés aux façades, les anciennes cheminées de four ou les portes basses de fournil.

Partez à la découverte de ce patrimoine “ordinaire”, témoin extraordinaire de la ruralité. Voici quelques suggestions concrètes pour prolonger l’exploration :

1. Itinéraire “Les Fours du Marais” :
   • À pied ou à vélo depuis l'église de Frontenay, suivez les panneaux vers Fayé, puis le hameau de Sazais pour apercevoir d’anciens fours et lire les panneaux d’information historique.
   • Photographiez les différences de formes selon les hameaux : four à pain à coupole, à dôme brisé, ou adossé à la grange.
2. Journée découverte pendant la Fête du Pain :
   • Vivez la cuisson du pain “à l’ancienne”, avec levain, et (re)découvrez les odeurs du bois qui crépite et de la mie chaude.
3. Rencontres avec les anciens :
   • Profitez d’une veillée ou d’une visite commentée (souvent organisées par l’Association de Patrimoine local) pour écouter anecdotes et souvenirs, comme celle du “pain de partage” de l’après-guerre, pétri collectivement lors de périodes difficiles.

Pour ceux qui souhaitent approfondir, des ressources documentaires illustrées sont disponibles à la médiathèque de Frontenay, et l’Inventaire du patrimoine rural de la Région Nouvelle-Aquitaine propose une carte interactive des fours recensés localement (patrimoine.nouvelle-aquitaine.fr).

Si aujourd’hui la fabrication du pain a largement quitté le foyer pour s’installer dans la boulangerie artisanale ou industrielle, le souvenir du four à pain reste puissant :

• Nombre de familles conservent encore des ustensiles (pelles, balais, moules à pain) au grenier ou en exposition dans la cuisine.
• Les ateliers de fabrication de pain “comme autrefois” connaissent un véritable engouement, aussi bien pour leur aspect ludique que pour la revalorisation des savoir-faire transmis de génération en génération.
• Le retour du four à pain privé séduit certains habitants en quête d’autonomie et de convivialité, notamment dans le cadre de rénovations ou d’éco-hameaux.

À l’image des “festins de four” qui renaissent chaque été dans nos villages, le four à pain incarne, au-delà de l’objet, une culture du partage, de la patience et de la solidarité propre à notre territoire.

Même devenu élément patrimonial, il reste un formidable trait d’union entre hier et aujourd’hui, entre terroir et transmission, entre habitants d’hier et visiteurs curieux. Nul doute que le four à pain aura encore longtemps sa place au cœur de nos villages et de leurs histoires à raconter.