Marcher sur les routes ou les petites voies de Frontenay-Rohan-Rohan, c’est s’offrir un voyage ponctué par la présence silencieuse des croix de chemin. Que l’on traverse le village ou que l’on s’égare aux abords du marais poitevin, ces croix s’imposent comme des repères familiers. On les trouve au croisement de deux chemins, dans un hameau, en lisière de champs ou d’une forêt, parfois même au détour d’un chemin creux. Elles surgissent, témoignant à leur manière d’une histoire locale riche et parfois méconnue. Mais à quoi servaient ces croix alimentaires ? Pourquoi sont-elles si nombreuses dans notre région ? Et, surtout, en quoi incarnent-elles un pan essentiel du patrimoine de Frontenay-Rohan-Rohan ?
Si les croix de chemin jalonnent tout le territoire français, leur présence en Poitou-Charentes – et plus particulièrement dans les Deux-Sèvres – s’inscrit dans une histoire pluriséculaire. Dès le Moyen Âge, l’Église et les communautés rurales dressaient ces croix à des endroits stratégiques. Le but était alors autant religieux que social : marquer la christianisation du territoire mais aussi guider, protéger les voyageurs, signaler un carrefour, un lieu de prière ou même un site funéraire ancien.
La majorité des croix visibles aujourd’hui à Frontenay-Rohan-Rohan remontent aux XVIIIe et XIXe siècles. Cependant, certaines bases remontent à des époques plus anciennes, signe que chaque génération a entretenu ou renouvelé ces témoins de pierre et de fer. Leur foisonnement dans la région rurale se comprend dans le contexte du marais poitevin, espace longtemps difficile d’accès, où ces repères étaient précieux pour s’orienter ou pour rappeler la présence divine dans le quotidien des hommes.
On dénombre aujourd’hui près de 18 croix de chemin disséminées sur le territoire de la commune (source : inventaire communal, Association des Amis du Vieux Frontenay, 2023). Ce chiffre, remarquable pour une commune de moins de 3 000 habitants, témoigne du soin apporté par les générations successives à conserver ce patrimoine. Leur état varie : certaines ont été restaurées récemment à l’initiative de riverains ou d’associations, d’autres portent la marque de l’érosion, mais toutes demeurent des repères visuels dans la campagne frontenaysienne.
La diversité de leur forme et de leur matériau est également un marqueur important :
Leur taille varie aussi : des croix d’à peine un mètre dressées modestement au bord d’un chemin, à d’imposantes croix de mission installées après les grandes missions paroissiales du XIXe siècle (notamment la Croix des Missions, avenue de la République, érigée en 1874 après une grande mission de l’abbé Constans, source : Bulletin paroissial de l’époque).
Au fil du temps, les croix de chemin sont devenues de véritables mémoires vivantes du territoire. Loin d’être des vestiges figés, elles s’insèrent au cœur du vécu des habitants et portent parfois des histoires bien précises.
Le folklore local s’attache aussi à ces croix, comme en témoigne la vieille histoire contée par les instituteurs du début du XXe siècle : un soir de brume, un fermier se serait perdu dans le marais. Grâce à la silhouette familière de la croix de l’Anglée, il retrouva son chemin, juste avant que la nuit ne tombe. Cette petite histoire, rapportée dans la monographie du canton par André Daniau (1926), rappelle combien ces ouvrages étaient essentiels à la vie quotidienne, bien au-delà de leur simple fonction religieuse.
Le patrimoine des croix se découvre au rythme du promeneur curieux. Plusieurs circuits, facilement accessibles à pied ou à vélo, permettent d’en saisir toute la diversité et d’associer la découverte des paysages à celle de l’histoire locale. Voici quelques suggestions :
Pourquoi cet attachement aux croix de chemin perdure-t-il ? D’abord, parce qu’elles font partie de notre paysage quotidien, mais aussi parce qu’elles sont de plus en plus reconnues comme patrimoine rural à préserver. Plusieurs initiatives récentes montrent cet engagement :
En 2020, la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC Nouvelle-Aquitaine) a recensé ces croix dans le cadre de son inventaire du patrimoine mobilier, soulignant leur intérêt historique et artistique (Inventaire général du patrimoine culturel Poitou-Charentes).
Prendre le temps de regarder une croix, c’est entrer en contact avec “l’esprit du lieu”. Quelques conseils pour renouveler son regard :
À Frontenay-Rohan-Rohan, les croix de chemin ne se contentent pas d’être de simples éléments de décor. Elles sont le fil conducteur de notre histoire locale, reflet d’une identité rurale et religieuse, mais aussi d’un patrimoine que chacun, habitant comme visiteur, se doit de redécouvrir et de protéger. Elles évoquent la mémoire des gestes quotidiens, des prières, des fêtes, des douleurs aussi, sans jamais cesser d’ouvrir des horizons vers l’avenir, à la croisée des chemins du marais poitevin et de la grande histoire humaine.
Redécouvrir ces croix, c’est s’approprier un peu plus la richesse de notre terroir, et se rappeler que ce sont parfois les repères les plus modestes qui portent les plus belles histoires.